La crise de l’euro et le pacte de stabilité, Conférence de Jean-François Ponsot1 du 14 novembre 2012
Compte rendu et commentaires personnels de Jacques Perrin2
La problèmatique développée par Jean-François Ponsot part de l’analyse que l’euro est une monnaie incomplète et que l’austérité budgétaire et la course à la compétitivité3 ne permettront pas d’apporter des solutions aux problèmes de l’euro et peuvent souvent les aggraver.
Une austérité budgétaire de plus en plus contraignante
L’austérité budgétaire prônée par l’Europe est une orientation qui est issue du traité de Maastricht de 1991 et qui a été codifiée dans le Pacte4 de Stabilité et de Croissance de 1999 : un déficit budgétaire maximum de 3% par an et un plafond de dette publique de 60% du PIB, pacte révisé en mars 2005. Suite à la crise économique et financière déclenchée notamment par la crise des subprimes aux Etats-Unis, et suite à la croissance des dettes des États européens pour essayer de sortir leur économie de la récession, cette austérité budgétaire a été renforcée par le TSCG (Traité sur la Stabilité , la Coopération et la Gouvernance) ou Pacte budgétaire européen, qui a été adopté par le Parlement français en septembre dernier et qui doit entrer en vigueur en janvier 2013. Ce nouveau traité instaure la « règle d’or » appelée aussi règle budgétaire, qui consiste en un engagement irrévocable des États de la zone euro à maintenir à perpétuité des budgets en équilibre, c’est-à-dire un déficit « structurel » ne dépassant jamais 0,5% du PIB. Les États signataires s’engagent à introduire cette règle dans leur Constitution nationale ou dans des dispositifs juridiques contraignants d’égale puissance. Le traité budgétaire prévoit des sanctions quasi automatiques en cas de non-respect.
Une recherche de compétitivité à tout prix
Avec la crise économique et l’impossibilité pour chaque État européen de dévaluer sa monnaie puisqu’appartenant à la zone euro, les déficits commerciaux des pays du sud de l’Europe se sont accrus tandis que s’accumulaient les excédents dans certains pays du Nord (notamment l’Allemagne). En cette fin d’année 2012, les débats sur la crise se centrent de plus en plus sur la compétitivité avec notamment la sortie du rapport Gallois. La principale proposition de ce rapport est d’abaisser le coùt du travail (compétitivité coût) ; l’autre solution bien moins mise en avant dans les débats est d’impulser les innovations dans les entreprises par l’augmentation des dépenses de recherche-développement, par une meilleure organisation des relations recherche /entreprise, par un accent mis sur la formation et par le renforcement du dialogue social dans les entreprises5 (compétitivité hors coût). On peut s’interroger sur l’opportunité que crée la crise de l’euro - pour une partie du patronat et pour tous les tenants du libéralisme6 économique - de mettre en Å“uvre et d’imposer à tous les pays de la zone euro une plus grande flexibilité du travail et une plus grande pression sur les salaires.
L’euro, une monnaie incomplète
La monnaie est le résultat autant que le moyen des échanges commerciaux. Une monnaie n’a rien de naturel, c’est un objet conçu par les hommes qui connaît et a connu des formes différentes (la monnaie métallique, les billets, les chèques, les cartes de paiement, les télépaiements, etc.). Comme tout objet technique7 , la monnaie a besoin pour fonctionner d’un environnement institutionnel et politique qui se complexifie avec la mondialisation des échanges et la financiarisation de l’économie. Il y a toujours eu une forte relation entre une monnaie utilisée sur un territoire et le pouvoir politique. La monnaie a un enjeu politique.
L’euro est une monnaie incomplète parce qu’elle été détachée des États (et qu’elle n’est pas réellement prise en charge par un pouvoir politique de remplacement) et ceci de plusieurs manières :
Avec l’euro la politique monétaire a été découplée de la politique budgétaire. Le pacte budgétaire qui s’applique à tous les pays sans distinction ne rétablit aucunement ce couplage. Les pays de la zone euro ayant un fort déficit commercial ne peuvent plus, par exemple, procéder à la dévaluation de leur monnaie pour rétablir la compétitivité de leurs entreprises. Ils ne peuvent plus que procéder à une « dévaluation interne » en diminuant le coût du travail et en flexibilisant davantage le marché du travail. Les pays de l’euro ne peuvent plus également compter sur l’émission d’euro obligations8 à bas taux d’intérêt pour équilibrer leurs comptes.
Dans la zone euro, aucun processus de transfert financier n’a été réellement prévu pour compenser les déséquilibres croissants qui se créent entre des économies aussi différentes que celle de la Grèce, du Portugal et de l’Allemagne. L’histoire économique, et notamment celle des États-Unis, montre que dans une même union monétaire ces déséquilibres ne peuvent que s’accentuer sans budget commun véritable et sans transfert entre régions.
La Banque centrale européenne (BCE) n’est pas autorisée à créer de la monnaie pour désendetter les Etats (monétarisation de la dette publique) ce que font d’autres banques centrales (Royaume Uni, Japon par exemple).
La monnaie est un des outils d’une politique de développement économique et les seuls critères d’austérité budgétaire ou l’objectif principal de la BCE de limiter l’inflation ne peuvent en soi définir une politique économique, surtout dans une période où de nombreux pays de l’euro subissent des taux de chômage insupportables
Toute monnaie a un aspect symbolique important. L’appartenance à une nation est rappelée par les effigies inscrites sur les billets. Ce sentiment d’appartenance est difficile à créer pour une zone monétaire en voie de création, d’autant plus que pour le cas de l’euro, l’Europe manque d’un projet social européen.
Avec l’euro, la monnaie européenne été détachée des États, et pour le moment il n’existe aucune institution européenne ayant vocation à remplir cette fonction. C’est tout le débat entre les fédéralistes qui voudraient construire une Europe comme fédération d’États à l’image des États-Unis et les souverainistes qui souhaitent que les États nations gardent un réel pouvoir. Dans ce débat il n’est pas toujours évident de prendre position : par exemple, dans les opposants au fédéralisme, on peut trouver des personnes qui par nationalisme refusent tout transfert de souveraineté dans l’Europe et d’autres qui refusent le fédéralisme parce que dans la situation actuelle où les pays européens sont majoritairement d’inspiration néo-libérale, il serait impossible de mettre en Å“uvre une autre politique. On est en droit de se poser la question suivante : l’Europe fédérale ne serait elle pas la bonne voie pour les défenseurs de la pensée néo-libérale qui prône le moins d’Etat notamment dans les domaines de la finance et de la monnaie, pour l’imposer à l’ensemble des pays européens ?
Que faire ?
Différentes solutions peuvent être proposées :
1. Compléter l’euro en allant vers plus de fédéralisme et en mettant en place des mécanismes de compensation entre les régions. On retrouve ici le débat entre les fédéralistes et les souverainistes signalé précédemment. Dans le cadre d’une fédération construite dans le cadre d’une pensée néo-libérale il sera difficile de mettre en place un mécanisme de compensation entre les différentes régions. Rappelons que le budget européen représente actuellement environ 1% du PIB européen.
2. Sortir de l’euro. La sortie de l’euro peut se faire par le bas : la Grèce, par exemple, décidant de sortir ou étant obligée de sortir de l’euro, avec le risque que les marchés financiers feront courir aux autres pays endettés de l’euro. Elle peut se faire par le haut : plusieurs pays décident de sortir de l’euro et cette monnaie est utilisée comme monnaie commune dans les échanges intra-européens.
3. Accepter la situation actuelle qui a pour objectif de corriger les déséquilibres intra-européens par des mesures visant à accroître la compétitivité et par l’instauration d’une disciplinaire budgétaire visant à diminuer les dettes publiques. Mais on doit rappeler que l’accroissement de la compétitivité des entreprises d’un pays par rapport aux entreprises d’autres pays est une course sans fin. D’autre part, la baisse ou le blocage des salaires tuent la demande et ont pour conséquence de bloquer la croissance ou de provoquer une récession9. Enfin la discipline budgétaire proposée par le pacte budgétaire empêche toute politique nationale de relance.
Dans le cadre de ces mesures, de nouvelles initiatives complémentaires peuvent néanmoins permettre aux pays européens les plus endettés de desserrer les contraintes :
- La création du mécanisme européen de stabilité (MES)10 qui est entré en vigueur le 27 septembre 2012 et qui remplace le Fonds Européen de Stabilité financiere (FES).
- La décision de la BCE d’acheter en quantité limitée des dettes publiques sur le marché secondaire (marché de dettes publiques achetées par les banques et des investisseurs). Il semblerait plus judicieux que la BCE prête directement aux États au lieu de passer par l’intermédiaire des banques qui, elles, peuvent emprunter actuellement auprès de la BCE autour de 1%.
- De nouvelles banques publiques d’investissement, de nouveaux programmes d’investissement sont en préparation au niveau européen et dans certains pays tels que la France. Les sommes prévues seront-elles suffisantes pour impulser une relance économique ?.
Depuis le 1er novembre 2012, l’Union européenne a interdit la vente « à nu » de CDS11 souverain ; c’est-à-dire si on ne détient pas d’obligations d’État auxquelles ils se rapportent ou de titres équivalents. Mais cette interdiction ne s’applique pas aux grandes banques qui réalisent 4/5 des transactions. Depuis juin 2012, l’European Market Infrastructure Regulation impose de passer par des chambres de compensation. Mais cette obligation ne vaut que pour les nouveaux contrats, ce qui est grandement insuffisant pour arrêter la spéculation sur les dettes souveraines des pays européens.
Quelle conclusion ?
L’exposé et les débats qui ont suivi ont montré que la définition d’une stratégie pour sortir de la crise de l’euro, et plus encore pour faire de l’euro une monnaie complète n’est pas un problème simple. Quelle que soit la voie choisie, les résultats sont incertains.
Les chinois écrivent le mot "crise" en associant deux idéogrammes ; l’un signifie "danger", l’autre veut dire "opportunité". Toute crise comporte en effet le danger de ne pas comprendre les raisons qui l’ont provoquée et, donc, de s’enfoncer plus loin dans la catastrophe. Et, en même temps, chaque crise fournit l’opportunité de détecter les causes qui l’ont produite et, par là, de changer ces causes, afin d’obtenir d’autres effets12. La crise de l’euro est peut être une opportunité pour s’interroger sur une crise bien plus grave qui est celle de notre mode de développement qui ne peut se généraliser à l’ensemble du monde. « C’est un autre modèle de développement qu’il faut promouvoir : en finir avec la logique même de la compétitivité qui, basée sur la concurrence de tous contre tous, aboutit à un état de guerre économique permanent appauvrissant les populations et détruisant les équilibres écologiques. Ce nouveau modèle de développement doit être fondé sur les principes de la coopération, de la rupture avec le consumérisme destructeur, de la réponse aux besoins sociaux, de la réduction des inégalités et de l’ouverture d’une transition écologique »13. On rejoint ici le thème de la conférence de l’an dernier « Pourquoi les sciences économiques nous conduisent dans le mur ? »
Suite à donner aux débats
En tant que citoyen il est normal que nous essayions de comprendre pourquoi l’euro est une monnaie incomplète. Mais nous nous sentons impuissants à changer le cours des choses. Il nous faut retrouver d’autres niveaux d’action.
Depuis quelques années dans plusieurs pays européens, en France, en Grèce, en Espagne, mais aussi en Allemagne, en Autriche et même en Suisse, les initiatives de création de monnaies locales au niveau d’un quartier, d’une ville, d’une région se sont multipliées14. Ces monnaies locales ont pour objectif de retisser du lien social, de ranimer la vie économique sur un territoire donné et de lutter ainsi sur certains effets négatifs de la mondialisation. En tant que groupe GPS intervenant sur un territoire on pourrait prévoir une prochaine conférence « Je m’informe, je me forme » sur les différentes formes et expériences de monnaies complémentaires.
On distingue traditionnellement trois fonctions de la monnaie. Elle sert d’intermédiaire d’échange, d’unité de compte, et d’instrument de réserve de valeur. La monnaie n’est pas seulement un instrument d’échange, c’est aussi un moyen d’acquérir un pouvoir sur des biens et services (pouvoir d’achat) ; c’est aussi un instrument de réserve de valeur qui peut se transformer par accumulation sous forme d’investissements ou sous forme de titres financiers en pouvoir sur les hommes et en pouvoir sur la nature. Penser en termes de pouvoir nous fait passer de la monnaie à l’argent, nous fait passer du rôle de la monnaie dans l’échange au rôle de la monnaie dans le pouvoir d’accumulation, dans le pouvoir de la finance. La différence entre monnaie et argent semblerait intéressante à approfondir.
Si au niveau de la monnaie euro nous avons peu de pouvoir d’action, nous en avons par contre au niveau de notre argent, de notre épargne que nous confions à des banques. Les banques n’ont pas toutes les mêmes pratiques et les formes d’épargne solidaire et respectueuses de l’environnement sont nombreuses et diverses. Par exemple les Amis de la Terre ont publié deux petits opuscules Environnement : comment choisir ma banque ?, Environnement : comment choisir mon épargne ? fort intéressants. Il serait pertinent de faire connaître une organisation « Les Cigales, Club d’Investisseurs pour une Gestion Alternative et Locale de l’Epargne Solidaire ». Pourquoi ne pas choisir le thème de la finance solidaire et responsable pour la journée « solidaire et conviviale » de juin 2013, en invitant des organismes tels que les Amis de la Terre, les Cigales, le CCFD, etc. ? Cela a peut être déjà été fait ?